20 Août : Terre d’Inglefield




Fleur Australe vient planter son étrave dans l’épaisse couche de glace et les enfants descendent. « Maman est-ce qu’en marchant plusieurs jours, nous pourrions arriver au pôle ? » me demande Marion, impressionnée par ce champ infini de glace. Les enfants s’en donnent à cœur joie sur la banquise, boules de neige, roulades, glissades. Ils se défoulent. Loup plante son drapeau du PSG sur la glace, il l’avait déjà fait, au Pôle Sud, en Antarctique, dans la mer de Weddel.


Le courant est vraiment très fort, environ 2 nœuds, et nous observons les plaques de glace qui tourbillonnent, s’entrechoquent et s’accumulent sur la banquise, à vive allure pour former des hummocks. Il ne s’agirait pas de se faire emprisonner par ces glaces mouvantes. C’est ici qu’Elisha Kent Kane, ne pouvant plus avancer, confronté comme nous à une banquise dense, a hiverné entre 1853 et 1855. Il n’a pas pu libérer son bateau englacé et il a rejoint Upernavik avec son équipage en tirant deux chaloupes sur la glace avant de retrouver l’eau libre en baie de Melville.



Le 15 octobre 1872 le Polaris de Charles Francis Hall, empoisonné par son médecin un an plus tôt, lors de leur premier hivernage, a quant à lui, fait naufrage non loin de Littleton. Le navire pris dans une tempête, empêché de manœuvrer par les champs de banquise qui l’entoure, serré par un iceberg, menace de sombrer. Une partie de l’équipage descend sur la banquise et dérive pendant 6 mois, avant d’être récupérée par un baleinier à Saint Jean de Terre Neuve. Le reste de l’équipage, les 14 hommes restés à bord, furent finalement jetés à la côte, à 7 km au Nord d’Etah où ils s’installèrent.


Loup porte fièrement le drapeau du PSG aux extrémités de la planète
Ici en Terre d’Inglefield, nous sommes au cœur du drame, en plein centre, dans ces deux espaces de malheur qui ont vu tant de naufrages. Le capitaine nous ordonne de remonter immédiatement et décide de quitter les lieux au plus vite. Il est 21h00. Nous ne pourrons aller plus loin pour cette fois. Nous sommes heureux d’avoir poussé encore un peu et d’être arrivés jusque-là. Nous avons une pensée pour tous les baleiniers et tous les explorateurs polaires qui ont perdu leur bateau dans ces eaux et qui pour certains y ont laissé leur peau. Nous relâchons dans une très belle baie enfermée dans des falaises ocre-rouges par 78° 30 N. La baie est parsemée de petits glaçons qui flottent sur une eau noire ébène. La vue est belle sur la terre d’Ellesmere et le cap Isabella.


Cache-cache avec la glace
Au cours de la nuit qui n’en est plus une depuis bien longtemps, la brume portée par un fort vent du Sud s’abat comme une chape de plomb. La baie ne tarde pas à se faire totalement envahir par des plaques de glace. Dès le lendemain, nous levons l’ancre in extremis et mettons le cap au sud. Nous sommes allés jusqu’au bout. Sous ces hautes latitudes, la banquise est seule maîtresse de notre destin. Cette année, elle était bien présente, elle nous a autorisés à arriver jusqu’ici. C’est un beau cadeau !

Heureux d'être arrivés jusque-là